Haïti/Élections : l’ouragan Matthew, l’avant-dernier pion

Article : Haïti/Élections : l’ouragan Matthew, l’avant-dernier pion
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25/10/2016

Haïti/Élections : l’ouragan Matthew, l’avant-dernier pion

Iceberg diamant
Crédit photo : Patrik Svoboda

Le week-end dernier, le Conseil électoral provisoire (CEP) s’est une fois de plus prononcé sur le dossier des élections. En effet, 20 novembre et 29 janvier sont respectivement les dates retenues pour l’organisation du premier tour et du second tour des législatives et présidentielles en Haïti.

Le passage de l’ouragan Matthew du 4 au 6 octobre sur le pays n’est pas sans conséquence (désastreuse). Avec grandes violences, il a manifestement semé le deuil et la désolation au sein de plusieurs milliers de familles haïtiennes. Le Grand Sud du pays – département du Sud, de la Grand’Anse, des Nippes – étant le plus touché par ses multiples dégâts. Parallèlement, cette catastrophe naturelle a, semble-t-il, modifié divers agendas dont celui du CEP de reporter un des plus importants rendez-vous de la nation haïtienne cette année : les élections du 9 octobre.

Lorsqu’il ne nous arrive de planifier (créer) nous-mêmes les tenants et les aboutissants de certains événements dans ce pays, des forces naturelles agissent de façon telle à nous donner un (vrai) coup de pouce, dira-t-on. Quand nous savons que depuis les élections contestées du 25 octobre 2015, nous sommes déjà à 365 jours (l’équivalent d’une année) de tentatives infructueuses de l’élection d’un président légitime, élu démocratiquement. Aussi avons-nous connu dans l’intervalle deux conseils électoraux provisoires pour une seule et même mission.

L’ouragan Matthew, un exutoire

Au premier plan, la grande majorité s’accorde sur le fait que le passage de l’ouragan Matthew est à l’origine de la non tenue des élections le 9 octobre passé dans le pays. Puisqu’après son tumultueux passage, les principales voies de communication reliant le département de l’Ouest du reste du pays sont pratiquement coupées; des écoles publiques et/ou non publiques qui abriteraient des CV¹ sont en partie endommagées ou totalement détruites; des BED² et BEC³ se retrouveraient dans le même état. Et de fait, les déclarations et arguments soutenus par des membres du CEP, des autorités du gouvernement en place dans la presse locale semblent concorder sur le fait que le climat n’est pas (vraiment) propice. Pour l’heure, il y a grande nécessité d’assurer le logement des déplacés et sans-abris, l’approvisionnement en eau et en nourriture des sinistrés ; pourvoir à leurs divers besoins en soins sanitaires; contrer la montée recrudescente du choléra (cet héritage funeste de la Minustah). Le moment appellerait donc à l’aide et à la solidarité aux populations locales dépassées par cet événement cataclysmique. En toute évidence, les arguments collent bien. On dirait même la manière élégante de se montrer solidaire et voler au secours du peuple une énième fois. Des applaudissements dignes de vous messieurs les dirigeants!

Les élections haïtiennes dans le viseur de la Communauté internationale

Au second plan, une minorité très consciente de ce qui se trame dans le couloir politique du pays s’accordaient déjà sur l’idée qu’il n’était pas donné pour vrai que les élections aient effectivement lieu à la date prévue, soit le 9 octobre.

Fin août, deux interlocuteurs étrangers avec qui nous échangeons régulièrement sur la conjoncture politique d’Haïti étaient de passage au pays. Toujours prennent-ils le plaisir [à eux] de nous entretenir sur la politique étrangère de leur pays d’origine vis-à-vis de certains « petits » pays de l’Amérique latine et de la Caraïbe, sur l’influence (que je qualifie moi-même d’ailleurs d’ « ingérence pure ») que le gros bonnet exerce sur eux (dont Haïti) en termes de ‘prises de grandes décisions politiques’. Au cours d’une discussion très animée, l’un deux a relaté, non sans réserve, qu’il sait combien est grande la motivation de la majorité des Haïtiens que les autorités de leur pays organisent les élections à la date prévue, pour crédibiliser l’institution électorale qui en a la [très] très lourde responsabilité mais aussi jeter les bases d’une certaine stabilité politique et sociale. Par contre, en raison justement des intérêts supérieurs […] elles ont très peu de chance de se tenir avant les élections américaines de novembre prochain.

À première vue, il n’était pas question de prendre au sérieux son message. Il sonnait mal. Très mal. Par rapport à une telle déclaration, nous avons surtout insisté sur le fait que, rien que cette fois et au vu de tous, le gouvernement haïtien a, de son côté, consenti d’énormes sacrifices pour créer le cadre général d’organisation des élections à l’haïtienne. Et ce, il a, dans une large mesure, négligé l’aide internationale du financement de celles-ci dans une perspective du rapatriement du processus électoral, dans un souci d’éviter toutes influences présumées. Que nous ne voyons donc pas le rapport entre les joutes électorales du 9 octobre au pays et les élections américaines du 9 novembre.

De cette discussion assez particulière, nous avons compris que ces derniers ne souhaitant seulement donner leur lecture de la conjoncture politique du pays, voulaient surtout partager des informations d’importance capitale. Et, contrairement à ce que l’on pourrait penser, les élections haïtiennes sont dans le viseur de la communauté internationale dont un pays comme les États-Unis d’Amérique. Même si par exemple le « cas Haïti » n’est pas traité au premier plan – pour ceux qui suivent de très près les élections américaines – dans les débats présidentiels entre les deux principaux rivaux en lice pour la Maison Blanche. Cependant, dans la région, l’originel Oncle Sam entend par sa politique exercer une suprématie d’ ‘oncle à nièce’ vis-à-vis d’Haïti. Une des raisons qu'[il] ne souhaite aucunement perdre de vue l’organisation de ses élections. Il [lui] faut du temps nécessaire… Aujourd’hui, il n’est un secret pour personne que l’Oncle a fortement influencé les élections de 2010. Car, des e-mails récemment publiés dans un grand quotidien du pays ont révélé l’implication ô combien profonde de hauts fonctionnaires américains dont Hillary Clinton, alors secrétaire d’État, dans ces élections.

À une telle prédiction, il importait de suivre l’actualité politique dans les moindres faits et tenter de déterminer quel événement politico-social particulier allait se répercuter sur le climat général du pays au point d’occasionner le report de ses élections à une date succédant les joutes électorales américaines de novembre. Parce qu’en réalité, il ne faut jamais nier la grande capacité de nos politiques, planificateurs (créateurs) d’événements et de troubles politiques, lorsque vient le moment de détourner l’attention de la grande majorité sur des événements importants dans ce pays afin de régler leurs petites affaires et avantager certains autres. C’est presqu’évident que ceux-ci disposent d’une imagination assez fertile d’étouffer une affaire par une autre, de boycotter un événement par un autre en un claquement de doigt. Au fait, dans un contexte politique si fragile, l’exercice s’est révélé entraînant durant ces cinq dernières semaines. Comme par pur hasard, l’affaire de la saisie d’armes à feu à Saint-Marc a choqué tout le pays, puis s’est noyée sans laisser de traces dans l’événement MassiMadi qui, pour sa part, a mis en ébullition tout Port-au-Prince au point de faire résonner ses échos dans le Sud-Est du pays avec le transfert du commissaire du gouvernement, Me Jean Danton Léger (bien que rétabli peu après dans ses fonctions). À quelles fins tous ces troublants événements? Et pour couronner le tout, l’ouragan Matthew a frappé à grands coups. Dans le même esprit, il a naturellement fait jeu égal à moins d’une semaine des élections au pays. N’est pas que ce cataclysme a plongé le pays dans une précarité telle que ces élections ne puissent se réaliser sur tout le territoire national le dernier dimanche du mois ni même le premier dimanche courant novembre? Il faut que ce soit justement après les élections américaines. Aucun rapport.

L’indifférence, une crise de confiance

Après évaluation, le 14 octobre passé le Conseil a bel et bien fixé sa position officielle sur le redémarrage de la machine électorale et les diverses activités à entreprendre. Conséquemment, on admettra que la ‘demi-vérité’ de cet interlocuteur avisé s’est convertie en vérité complète (ou totale) aux yeux des incrédules. Une simple coïncidence.

Bien sûr qu’il faut avoir totale confiance dans cette institution électorale dans sa toute volonté d’organiser [sans influence aucune] des élections démocratiques dans ce pays. Telle aurait été sa grande intervention le 9 octobre dernier si l’ouragan Matthew n’en était venu à bout de sa tentative quelques jours plus tôt. Plausible!

Au reste, jamais personne n’a cherché à connaître, à moins de six jours du déroulement du scrutin, le motif de la non-publication des listes des mandataires sur le site officiel de l’institution électorale. Non plus la cause de la non-livraison des cartes d’accréditation des mandataires – ces maillons on ne peut plus importants de la chaine – aux partis et regroupements politiques. Or, celles-ci doivent être délivrées, selon l’article 16 des règlements du Conseil électoral provisoire relatifs aux mandataires, au plus tard huit jours avant la date du scrutin. C’est sûr que de telles remarques ne doivent faire objet de préoccupations!

En somme, des élections doivent se tenir prochainement au pays. À en croire le Conseil électoral provisoire, la reprise de la campagne électorale est prévue pour 7 novembre. En dépit de tout, le peuple haïtien doit s’attendre à des élections crédibles, honnêtes, inclusives et démocratiques où un président légitimement élu sortira des urnes. Bien qu’en ce moment même, de très habiles manoeuvriers poussent à fond leurs pions sur l’échiquier politique. Car la visée est de gagner à tous les coups. Dans cette période électorale si particulière, il faut redoubler de vigilance et de persuasion. Si l’agressivité n’est pas la bonne option, la passivité ne l’est pas non plus.

(R)

  1. Centre de vote.
  2. Bureau électoral départemental.
  3. Bureau électoral communal.
  4. Mission des nations unies pour la stabilisation en Haïti (très confortablement installée depuis 2004).

Note de l’auteur :

 Mes plus sincères condoléances aux compatriotes victimes du passage de l’ouragan Matthew sur le pays. Continuellement, nos autorités de l’État ont l’entière responsabilité des malheurs et déboires des populations locales. Celles-ci font toujours d’elles les premières et seules victimes. En ne prenant des mesures écologiques effectives et en ne responsabilisant les gens à construire selon les normes, à lutter durablement contre la destruction de nos forêts, nos réserves écologiques et la dégradation des sols – barrières environnementales naturelles – dans le but d’en limiter les conséquences néfastes. Au regard de leur inaction, toute la population haïtienne du pays est fortement exposée aux intempéries et catastrophes. Possiblement pour favoriser une gestion rationnelle des largesses et aides humanitaires qui lui sont dédiées.

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