Haïti : temps forts de la saga électorale (première partie)

Article : Haïti : temps forts de la saga électorale (première partie)
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01/08/2016

Haïti : temps forts de la saga électorale (première partie)

CEP HAITI
Logo officiel du Conseil électoral provisoire            Source : @Cep_haiti

À un tournant décisif de l’histoire électorale d’un pays comme Haïti, où normalement le verdict des urnes devrait constituer la toile de fond du grand jeu d’alternance politique, l’organisation des élections des 9 août et 25 octobre de l’an dernier illustrent une fois de plus la plus grosse énigme pour nos dirigeants haïtiens de renouveler le personnel politique dans le strict respect des règles du jeu démocratique. En effet, ce qui nous conduit aujourd’hui à une présidence provisoire.

Dans l’intention d’harmoniser le temps constitutionnel, il était convenu que l’ex-président, M. Joseph Michel Martelly, laisse le pouvoir le 7 février 2016 à un président légitimement élu. Qu’on sache qu’il a pris officiellement ses fonctions le 14 mai 2011. Son quinquennat s’est bel et bien épuisé.

Dans l’intervalle, l’organisation d’élections pour le renouvellement d’un tiers du Sénat, des élections au bénéfice des collectivités territoriales sont entre autres échéances constitutionnelles qui n’ont pas été respectées. De fait, fautes graves qui ont entraîné principalement l’invalidité de la 49e législature, le pullulement d’agents exécutifs intérimaires dans les communes contribuant à la dilapidation des fonds communaux… Des trois Pouvoirs de l’État, tenant compte du Judiciaire qui est à la merci de la Présidence, l’Exécutif, maître d’ouvrage de toutes ses velléités, fonce à vive allure sans le moindre contrôle du pouvoir Législatif.

Voilà qu’en fin de mandat vient le temps impératif d’organiser des élections générales (présidentielles, législatives et municipales) pour le renforcement des institutions étatiques.

Dans un premier temps, des négociations entre l’Exécutif, l’Église et les partis politiques ont accouché un accord favorable à l’organisation le 9 août 2015 d’une première partie des élections : les législatives. Pour donner suite concordante à ces échanges politiques plutôt fructueux, un décret présidentiel a favorisé la création d’un Conseil électoral provisoire (CEP) de neuf membres, tous issus des secteurs clés de la vie nationale, chargé de monter et gérer le processus électoral. Les élections ont effectivement eu lieu. Et de ces élections, le PHTK, parti de l’ex-président, et des plateformes alliées ont obtenu la majorité des sièges à la 50e législature. Fort contestées pour des cas de fraudes avérées, beaucoup exigeaient mais en vain l’annulation de celles-ci.

Une responsabilité partagée

Le CEP alors reconnu que le scrutin était émaillé d’irrégularités, a prévu de prendre toutes les dispositions nécessaires d’apporter les correctifs souhaités – si possible d’écarter les fraudeurs – et a rassuré les partis politiques, la société d’une manière générale, que tout sera mis en oeuvre afin d’éviter que de tels actes se reproduisent aux prochaines joutes électorales. Il s’en était bien tiré cette fois!

Dans un second temps, l’élite intellectuelle du pays, les syndicats d’enseignants et de travailleurs (de chômeurs aussi!), des partis politiques notamment conscients de la nécessité de renouveler le personnel politique dans le strict respect des règles du jeu démocratique pour une bonne gouvernance, mais aussi de pouvoir faire échec au plan macabre de l’ex-président de céder le pouvoir à son poulain du PHTK, ont en dépit de tout accepté d’emboiter le pas le 25 octobre 2015 à la deuxième partie des élections incluant les présidentielles, les municipales et éventuellement les législatives partielles.

Spécieux mais pas sérieux

Au lendemain même de la tenue du scrutin, le Conseil électoral provisoire d’Opont s’est félicité d’avoir réussi le pari en comparaison au 9 août. Des experts et observateurs internationaux affirment de leur côté qu’il y a eu de bonnes élections en Haïti. Au contraire de ces déclarations et manoeuvres qui ont retenti dans les médias locaux dans les premiers moments et qui étaient d’une grande délicatesse politique puisque bien orientées dans l’intérêt précis d’un clan qui veut à tout prix ne pas perdre, quelque trois semaines après, à mesure qu’on fait la saisie des données électorales des dix départements au Centre de tabulation de votes, on a enregistré des cas de fraudes massives.

L’Opposition dite plurielle, des organismes de droits humains et d’autres franges de la vie nationale crient au scandale et qualifient les élections de « Coup d’État électoral », de « crime électorale » en faveur des candidats proches du pouvoir. Des 54 candidats dans la course présidentielle, Jovenel Moïse du PHTK est placé en tête des résultats définitifs avec 32,76% des voix et 25,29% pour son poursuivant immédiat Jude Célestin de LAPEH.

Soupçonnant la partialité du Conseil, des partis requièrent au plus vite qu’une commission indépendante vienne établir la sincérité du scrutin pour la continuité du processus. Sinon, la démission sans condition du président de ce Conseil. L’on se souvient bien de l’implication combien imposante du ‘Groupe des huit’ communément appelé G-8 (front commun formé principalement de huit candidats aux Présidencielles les mieux classés suivant les résultats définitifs du CEP dont Jude Célestin (LAPEH), Jean-Charles Moïse (PLATFÒM PITIT DESSALINES), Eric Jean-Baptiste (MAS)).

Pour tenter de calmer les nerfs, le 22 décembre 2015, après plusieurs autres tentatives de monter des commissions vouées à l’échec, la Commission indépendante d’évaluation électorale (CIEE) a été créée par arrêté présidentiel avec pour mission d’ « évaluer le processus électoral et de faire des recommandations au gouvernement et au Conseil électoral provisoire ».
Les recommandations faites par la CIEE [CEEI] dans son rapport n’ont pas été réellement prises en compte par les deux entités pour le dénouement effectif de la crise.

Malgré les vagues de manifestations et protestations venant de partout où des groupes populaires préconisaient à cor et à cri l’épuration du processus, le Conseil électoral ne voulant certainement pas entendre raison, a décidé de planifier envers ou contre tous un second tour présidentiel.

Sur fond de crise électorale persistante, le 22 janvier, le CEP a reporté sine die le second tour présidentiel prévu pour le 24 janvier entre les deux candidats mieux classés « face à la détérioration de l’environnement sécuritaire et les menaces qui pèsent sur le processus ». Le 28 janvier, le président du Conseil électoral provisoire, Pierre-Louis Opont, a remis sa démission.

Parallèlement, la rue exige le départ de l’ex-président Martelly du pouvoir car son administration, durant cinq années, n’a pas su organiser d’élections crédibles.

Nécessité d’éviter le pire au pays

Dans cet imbroglio, afin d’éviter une vacance présidentielle gratuite au pays ou même pire encore, l’Exécutif a dû in extremis signer un accord de sortie de crise avec les honorables parlementaires Jocelerme Privert et Cholzer Chancy, respectivement président et vice-président de l’assemblée nationale, tous deux signataires du fameux accord du 6 février, donnant mandat à un président provisoire d’organiser des élections honnêtes devant conduire à un nouveau chef d’État au Palais national dans un délai ne dépassant pas 120 jours, soit le 14 mai 2016. Après avoir établi bien entendu la vérité vraie sur les innommables échecs des 9 août et 25 octobre 2015.

Une semaine plus tard, soit le 14 février 2016, M. Jocelerme Privert, alors président du Grand corps, est élu Président provisoire de la république par ses collègues parlementaires dans une élection au second degré à l’assemblée nationale. Avec quel esprit, Son Excellence, brigue-t-il cette nouvelle fonction?

 

(R)

 

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