Port-au-Prince : une belle longueur d’avance pour les fatras et autres détritus !

Article : Port-au-Prince : une belle longueur d’avance pour les fatras et autres détritus !
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04/06/2016

Port-au-Prince : une belle longueur d’avance pour les fatras et autres détritus !

Fatras : c’est bon pour le référencement
À la 5e Avenue, à Martissant, piles d’immondices oubliées sur les côtés de la route. © Rovaki Pierre Louis

Plus les jours passent plus on se sent dans la tourmente à Port-au-Prince. On ne vit pas réellement. L’odeur pestilentielle des fatras en décomposition qui jonchent les coins de rue pollue l’atmosphère au quotidien. Ce paysage immonde au coeur de la capitale et ses environs doit nécessairement faire l’objet de vives préoccupations. C’est un problème de santé publique majeur.

Quel que soit le mot qu’on emploie : ‘ordures’, ‘immondices’, ‘détritus’ ou même ‘saletés’… il faut que vous sachiez qu’ici, on traite toujours de la même chose, le fatras. Les tournures linguistiques changent, on passe d’un vocabulaire à un autre, mais cela ne change en rien sa vraie nature. Bref.

Il est alarmant de voir que presque tous les coins de rue de Port-au-Prince se transforment en décharge publique. Les gens vident leurs poubelles dans les rues de leur quartier sans éprouver la moindre gêne, de jour comme de nuit. Cela à l’air normal ! Le pire, c’est que ce phénomène est courant. Mais, plus que jamais, je me demande s’il n’y a pas un endroit approprié autre que les rues pour jeter ces déchets.

Monsieur Costume s’achète un plat de fruits délicieux, savoure son contenu et abandonne l’emballage en plastique dans un coin de rue. Madame Blouse qui passe bien vêtue au volant de sa Range Rover de couleur beige, ralentit un instant, descend fièrement la vitre de sa portière et balance le reste de sa canette de soda sur la voie publique. Un élève qui rentre de l’école vide son sac à dos et décharge toutes les épluchures d’oranges et de canne à sucre dans la rue avant de monter dans l’autobus. Pire encore, certaines personnes, après avoir fini leur plat, défèquent dans l’emballage et l’abandonnent sur la chaussée. On dirait que c’est tout à fait normal ! Au cours d’une journée, les cas peuvent se multiplier par centaines, et personne ne bronche !

C’est ainsi que j’ai récemment été témoin d’une scène étonnante à Lafleur Ducheine, une rue passante de la capitale.
Au cours de laquelle une phrase qui en ressortait a failli me mettre K-O. Elle m’a soudainement plongé dans une très profonde réflexion, dois-je avouer.
Un jeune homme tient fermement les mains d’une dame et l’oblige avec insistance à ramasser un sac rempli à ras bord de ‘je-ne-sais-quoi’ qu’elle tentait d’abandonner sur le trottoir alors qu’elle s’apprêtait à partir. Elle est vendeuse de café, de pain et d’acassan dans le coin. Refusant d’obéir au jeune homme, elle menace de crier si ce dernier ne la libère pas sur-le-champ. Elle lâche avec témérité et sans détours : « étant donné qu’il ne va pas tarder à pleuvoir, la pluie l’emportera tôt ou tard. » Finalement elle réussit à quitter les lieux. Sans nul doute, ce sac-là contenait les déchets de tout ce qu’elle avait pu utiliser durant la mi-journée pour la préparation de ses repas.
La phrase qu’elle avait prononcée failli me mettre K-O, j’avoue que cela m’avait plongé dans une profonde réflexion, j’étais abasourdi, j’ai failli lui demander en partant : « … l’emporter pour aller où ?  » Pauvre passant, je n’étais qu’un simple spectateur dans ce décor. Alors qu’ils sont laissés sur les trottoirs dans les rues, où atterrissent ces fatras lorsqu’ils sont emporter par les eaux des pluies ?

 

 

Fatras : c’est bon pour le référencement
Sur le boulevard H. Truman, des piétons tentent de se frayer un passage après la pluie. © Tartini Pierre Louis

 

Le constat est flagrant et les résultats sont catastrophiques. Durant la période des pluies (comme ce mois-ci) les eaux transportent tous les débris qu’elles croisent sur leur passage pour les conduire au plus bas niveau de la ville c’est à dire dans des quartiers voisins ou à la mer. Pour bien de gens c’est le moment propice (on croirait même que c’est un réflexe chez eux), ils en profitent pour se débarrasser de leurs tonnes de fatras. Ces ordures s’arrêtent où bon leur semble, et, de fait, les égouts et les canaux sont débordés, des eaux boueuses dégorgent sur la chaussée ; les ordures s’y installent et s’entassent en formant des piles d’immondices.

Il arrive que dans certaines rues de Port-au-Prince, à force que des chaussures, des sabots, des brouettes, des pneus de voitures … affrontent les fatras sur le macadam, il se forme alors une masse très épaisse de boue noirâtre qui constitue une seconde couche d’asphalte sur la chaussée.

Chez nous en Haïti, une vieille sentence populaire dit que : « la rue, c’est le salon du peuple. » Généralement, si j’observe bien, un salon est un espace  propre où on expose ses plus beaux objets à l’appréciation de tous les amis et visiteurs. Le salon est le lieu de réception par excellence !
Mon père, qui est sexagénaire, m’a appris que du temps des Duvalier les rues de la capitale étaient bien entretenues et très propres. Et ce n’était pas juste occasionnel ! A cette époque on disposait  d’engins pour nettoyer régulièrement les rues. Jeune, il se rendait au Champs-de-Mars pour se divertir, il aimait s’acheter de la crème glacée. Il aurait pu ramasser sa crème et la manger si elle était venue à tomber sur la chaussée par inattention ! Bien sûr, il aurait évité de laisser le cornet par terre ! Il l’aurait déposé dans une benne à ordures sur l’une des places. C’est juste un devoir civique et de l’égard vis à vis la propreté, m’a-t-il dit. Il fut un temps…

C’est bien dommage ! Cela fait très longtemps que les citadins de tous horizons à Port-au-Prince font un usage abusif et désobligeant du salon, au point de transformer les coins de rue de la capitale en gigantesques décharges publiques.

 

(R)

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